mardi 29 janvier 2008

Combats éthiques et féminisme

Introduction
Mon propos vise à faire émerger les attentes citoyennes d’une société de droits. Parallèlement, à nous introduire aux influences des mouvements sociaux au sein de la société québécoise. De même à celles du féminisme quant aux mutations des valeurs de cette société. Mon questionnement est nettement inféodé à l’éthique féministe, à savoir dignité, autonomie, respect, solidarité, égalité, altérité.1 Ce qui vient d’être énuméré est repérable dans la publication portant sur la citoyenneté. Quant aux droits, je me suis référée à la vision des «droits-liberté» et «droits-créances»2 à l’intérieur d’une publication portant sur des textes choisis en regard du postulat citoyen.

Pourquoi la visibilité? Pourquoi la médiatisation?
Il est reconnu que d’afficher la violence brise l’isolement d’une victime tout en vulnérabilisant l’agresseur. Rappelons-nous les premières dénonciations de viols et violences conjugales. Les victimes s’affichaient tout en se plaçant dans la distance du sujet. Rappelons-nous le porte-voix féministe ayant collaboré au renforcement du «sujet politique» de femmes violentées. Ces batailles auront servi l’éthique de la responsabilisation citoyenne. Ce que la charte proclame ouvertement par cette affirmation: «Les femmes sont des citoyennes à part entière avant d’être des conjointes, des compagnes, des épouses, des mères, des travailleuses». (Charte de la Marche mondiale des femmes – Affirmation 4).

Et pourtant, malgré ces victoires sur les violences, force est de constater que le féminisme peut se tenir à distance de violences marginales, à moins de les choisir expressément afin d’être de l’époque, sinon de la devancer. Tout au long de cette dernière décade, j’ai été confrontée à cette fermeture de l’agenda politique par rapport aux violences défendues. Il s’agit de violences où des femmes seules sont visées et privées de leurs droits à un habitat exempt de violence. Les victimes peuvent être confrontées à l’expulsion à force de violences alors même que les agresseurs ont été blanchis par la Régie en raison du parjure.

Si les violences du privé mettent souvent en compte une intention d’expulsion, ce n’est pas le cas des femmes violentées dans les HLM. On remarquera que le Congrès de juin 2007 de la Fédération des HLM a résolument levé le voile sur les violences envers femmes et enfants, et ce, tout en orientant le plan d’action vers des solutions. Ce qui donne quelque espoir de transformation des rapports de forces dans une vision éthico-politique. Les violences en logements privés peuvent faire intervenir des profils en lien avec les armes non létales. Même si elles sont au courant de la circulation des armes non létales au sein de la société civile, la Fédération des Femmes Québécoises (FFQ) et Amnistie internationale gardent le silence sur un état de fait.



Sortir de l’isolement
La plume m’aura permis le dépassement de toute dépendance et surtout d’assumer la prise en charge d’une dénonciation où les solidarités restaient aléatoires. Malgré l’absence de solidarité du féminisme, l’écriture m’aura donné la passerelle et le porte-voix. Parallèlement à l’écriture, il y eut les ateliers regroupant des victimes. Et puis le «va-et-vient» politique entre la FFQ et le Regroupement des comités-logements. Plus tard, j’y ajouterai un militantisme particulièrement actif au sein du comité logement de mon quartier.

Par des lettres ouvertes, les articles publiés dans le journal de quartier permettaient de m’adresser directement à des personnalités politiques. Parfois de les rencontrer. Certaines lettres ouvertes s’adressaient explicitement à la Présidente de la FFQ de l’époque. Sans compter tous les articles au contenu réflexif visant la société civile.

Voici un aperçu de quelques tribunes politiques interpellées:
  • Le Ministre Jean Rochon (Visions Voisins, octobre 1999) 
  • L’Hon. Adrienne Clarkson, Gouverneure générale (Visions Voisins, oct. 2000) 
  • La Présidente de la Régie du Logement (Visions Voisins, mars 2001) 
  • L’Hon. Anne Mc Lellan, Ministre de la Justice – (Visions Voisins, avril 2001) 
  • Nathalie Rochefort, Députée - (Visions Voisins, juin 2002) 
  • La Présidente de la FFQ (Visions Voisins, août 2002) 
Le féminisme face aux violences
Si le combat féministe des dernières décennies a fait émerger des solidarités autour du «sujet politique féminin», lequel sujet se reconnaît dans les dénonciations, sans pour autant être toujours en accord avec les stratégies, d’autres femmes et moi avions la fausse impression d’un support inconditionnel du féminisme dans l’affrontement des violences. L’expérience «terrain» est venue me prouver le manque d’audace, sinon l’absence de volonté politique de la FFQ quand il y a «low profile». Cela dit en admettant que certaines batailles génèrent du capital politique, quand d’autres ne sont qu’un rappel à l’éthique.

Les réticences de la Fédération des femmes québécoises ne m’en sont pas moins demeurées de l’ordre d’une inadéquation avec l’éthique féministe. Cela dit en admettant que de plus en plus de femmes vivent, sinon vivront seules. Cela dit en admettant que ces femmes voudront également leurs droits! L’inadéquation prenait toute sa symbolique du fait d’une plate-forme féministe devenue «non lieu». En toute solidarité, le débat aurait pu faire surgir failles et responsabilités tout en ramenant la société civile à une éthique de la non-violence au sein de l’habitat, et ce, en dehors des couples.

On se rappellera le débat sur la prostitution et les revendications des «travailleuses du sexe». Le mérite de la FFQ fut d’ouvrir au débat élargi. Ce forum élargi nous aura été refusé alors que les propositions pouvaient introduire à d’autres valeurs… à d’autres grilles et structures. En voici la teneur:

Former un comité de féministes de toutes tendances afin de réfléchir sur une grille éthique de l’habitat et faire des recommandations conséquentes au conseil d’administration de la FFQ;

Mettre sur pied une Semaine nationale annuelle de dénonciation des violences en vue de regrouper les violences de toutes les catégories, tout en permettant aux violences de l’habitat de se faire visible sous la bannière du féminisme.

Hors de l’enceinte, quelques féministes n’ont pas manqué de m’informer de la confusion. Ainsi ai-je mesuré l’écart puisque la Semaine nationale de dénonciation des violences était perçue comme nuisible à la Journée du 6 décembre; de l’autre se manifestait la crainte d’attirer les femmes violentées vers la FFQ en leur faisant tourner le dos aux comités logements. Là aussi, l’absence de débat empêchait de signaler que la «mission» en faveur des violences était un idéal, mais qu’il n’avait plus cours dans la «vraie vie» des comités-logements.

Déjà au fait de ce que pouvait offrir le Regroupement des comités logements, j’ai voulu être plus présente au sein du Comité-logement de mon quartier. D’où mon élection pour deux mandats comme membre du conseil d’administration. Cette implication vint ajouter l’expérience «terrain». Le «va-et-vient» entre Comité-logement du Plateau Mont-Royal et la Fédération des femmes québécoises restait «passerelle» de vérification de l’état des lieux.

Mouvements sociaux et féminisme – pouvoir politique
Les mouvements sociaux ont un pouvoir politique. Ce qui peut renvoyer à «l’abus de pouvoir» en certaines occasions. Je viens d’emprunter les mots «abus de pouvoir» de l’écrivain Henri Lamoureux (L’Action communautaire, VLB, pages 62-63). Pour qui veut s’introduire dans les officines et suivre les forces d’orientation de dossiers politiques, il s’agit d’une réalité palpable. Bref, en ces lieux s’exerce un leadership désireux du contrôle absolu de l’agenda politique. Serge Halimi va même jusqu’à parler de ce pouvoir exercé par une frange d’experts comme de «la République des coordonnateurs». (Henri Lamoureux, L’Action communautaire, VLB, page 62) et qu’il perçoit de l’ordre d’un pouvoir nuisible à l’évolution de la participation citoyenne.

Il faut admettre que dans le non-dit, les experts des comités-logements misent sur l’agenda politique de dossiers à orienter. Ainsi, la «défense des reprises de logements en collectif est de l’ordre de défis politiques ayant du succès.». Depuis quelques années, et jusqu’à tout récemment, plusieurs de mes textes ont été refusés par le coordonnateur du fait que j’y tenais des propos liés aux violences de l’habitat. Ce qui n’a pas cours lorsqu’on parle de dossiers comme les «violences de l’habitat». Je viens de nous renvoyer aux réalités que Serge Halimi nomme «zone de confort idéologique» là où s’interpénètrent idéologies et mission. (Henri Lamoureux, L’Action communautaire, VLB, page 62, 2007)

J’admets que les affirmations de Lamoureux m’auront permis de faire lien avec des expériences «terrain» puisque le militantisme m’a souvent renvoyée au contrôle exercé par ceux que Halimi nomme «les experts». (L’Action communautaire, page 62). J’ai le souvenir très vif d’un moment où le coordonnateur de l’époque signalait sa réserve quant au partage du pouvoir politique. Ce même coordonnateur m’avait personnellement «contrôlée» dans mes ardeurs militantes en regard de la spéculation sur les logements. Je l’ai immédiatement dénoncé dans un journal de quartier. En voici l’extrait: «(…) Néanmoins, il m’a semblé que l’action politique s’avérait de l’ordre d’un échec. D’une part parce que seuls deux représentants de la marche ont eu droit d’entrée à la salle où se tenait le Conseil de ville; d’autre part, pour le scénario caricatural et mal ficelé, lequel noyait l’intention de cette marche jusqu’à l’Hôtel de ville derrière des attaques politiques tribales». («Mon Quartier… J’y suis, j’y reste!», Visions Voisins, 20 novembre 2000).

Plus encore, puisque j’irai jusqu’à me présenter au Conseil de Quartier pour signifier cet «abus politique». Démarche et propos furent publiés. En voici un court extrait: «Pour ma part, j’étais des intervenants désireux de faire la lumière quant à l’autonomie d’un comité de citoyens formé à l’automne 2000 et dont il devient impossible de suivre les objectifs.» (…) Il s’agira maintenant de se regrouper autour d’objectifs déjà largement définis à l’automne 2000. Un suivi devrait permettre de rassembler les intervenants-intervenantes dudit comité de citoyens. Il ne faudrait pas attendre l’automne 200… sinon les locataires du Plateau Mont-Royal seront confrontés à des échéanciers incontournables et la finance aura eu raison de l’attentisme! (Conseil de Quartier et Démocratie, Visions Voisins, février 2001)

Le Forum social de l’été 2007 a permis de mesurer le déséquilibre entre pouvoir politique des Mouvements sociaux et pouvoir politique citoyen. A mon avis, ce sera l’une des grandes responsabilités du prochain Forum social que de travailler à un nivellement constructif de ce pouvoir bipolaire.

Le mouvement des femmes… à travers la fédération des femmes québécoises - pouvoir politique
Le mouvement des femmes est un pouvoir politique à travers différents courants idéologiques. Ce dont fait partie la FFQ tout en étant le porte-étendard du féminisme québécois et, disons-le, lieu des croisements du féminisme québécois et planétaire depuis la Marche mondiale des femmes.

L’abus de pouvoir existe-t-il au sein de la FFQ? Je répondrai non tout en devant y apporter des nuances, car le pouvoir politique est tenu de façon à éviter le sabordage par la base militante. Ce qui me fait dire que la FFQ est plus dirigée par une intelligentzia féministe que par sa base. Il faut savoir qu’à la FFQ existe un déséquilibre à travers le «membership» de la Fédération des femmes québécoises puisque les membres représentant des associations l’emportent par le nombre sur les membres individuelles. Ce qui fait que les intérêts politiques de l’heure peuvent subir l’effet de vagues à partir de tendances et influences.

Certes, le mot «abus politique» pourrait être inapproprié. Néanmoins, je demeurerai honnête en affirmant qu’il s’y vit des entorses à la démocratie pouvant miner la crédibilité de la structure. Cela dit en tenant compte de l’importance du respect de l’éthique féministe et du «sujet politique féminin» à travers toute femme de la base.

Je reviens aux entorses à la démocratie par des exemples récents et concrets puisque datant de l’assemblée générale de septembre 2007. Concernée au premier degré, micro en mains, j’ai dû faire état de dérives. Que ce soit pour les propos non rapportés au procès-verbal à adopter. Que ce soit pour une procédure bâclée lors d’une mise en élection. Que ce soit par l’information non diffusée par l’ordre du jour de l’assemblée générale, puisque des bruits de couloir renvoyaient au retrait d’une (comme on dit couramment dans les milieux féministes) membre du conseil d’administration, pourtant représentante des membres individuelles, et dont le mandat - en théorie, devrait expirer à l’automne 2008.

La question reste de connaître les motifs véritables de ce retrait en mi-mandat. Également de sonder les intentions du conseil d’administration quant au poste vacant. Envisage-t-on le remplacement en dehors de toute élection? Ce qui nous introduirait aux limites de «l’abus de pouvoir».

Je ferai mention d’une autre entorse à la démocratie et toujours dans la foulée de l’assemblée générale 2007. Au point «Varia», l’assemblée fut informée de l’éventuelle mise sur pied d’un comité sur les violences afin de se doter de stratégies portant sur la Semaine thématique nationale annuelle devant débuter avec décembre 2007. Sur place, j’ai manifesté mon intérêt à faire partie de ce futur comité. Je demeure toujours dans l’ignorance de l’agenda politique de la FFQ par rapport à ce comité et ce, malgré quelques communications adressées à la présidente.

Conclusion
À ce jour, les violences de l’habitat envers les femmes seules n’ont pu faire l’objet de débat au sein de la FFQ, mais ce n’est probablement que partie remise, eu égard au fait que de plus en plus de femmes vivront seules, et ce, en dépit d’un lien amoureux.

Également parce que la responsabilité du «sujet politique» ramené aux droits, ces citoyennes obligeront le féminisme à définir, sinon à redéfinir «l’éthique de la non violence» de façon à nous responsabiliser citoyens-citoyennes, tout en orientant les structures et superstructures à plus de transparence, voire à nous situer sur ce qui est «mission» et «stratégie politique».

Ce que je considère essentiel est directement relié à la transparence de la «mission» de tout organisme communautaire. Je respecte la mission et les défis des Comités-logements et mon implication sait mesurer la qualité de travail du CLPMR qui, à travers l’actuel coordonnateur , oriente des défis comme:
  • Mon logement j’y suis! J’y reste! 
  • Les reprises de logements 
  • Revendication de 1000 unités de logement social 
  • L’OPA (un chantier de logement social – 200 unités sous forme de coop d’habitation et OSBL et HLM 
Et pourtant, tout en considérant le manque de ressources en lieu et place, j’estime que tout comité logement se devrait d’englober les cas de violences auxquels je fais référence, voire même travailler en collaboration avec la Régie du logement pour les violences extrêmes. Sinon, il y aurait lieu d’afficher une vitrine plus authentique. Ce serait traiter la population dans une vision politique citoyenne et non «cas par cas». Ce qui éviterait le piétinement de victimes en lutte pour le respect du «droit à un habitat exempt de violences». Et du même coup, ce serait éviter le renvoi des victimes par la FFQ vers les comités-logements tout en se donnant bonne conscience!

Et je répéterai ici ce que j’ai déjà dit: «Depuis le début, j’ai reconnu dans ce combat, celui de toutes les femmes. Voilà pourquoi l’évolution normale est que le porte-voix du féminisme favorise la concertation pour l’égalité citoyenne. A ce moment, le dossier devient politique et dans le prisme d’autres valeurs, là où la cité démocratique prépare l’ordre du monde et l’égalité des hommes et des femmes».3
______________________________________
[1] LAMOUREUX Henri, Le citoyen responsable, page 93.
[2] Deux sortes de droits peuvent être distingués: des “droits-liberté” et des “droits-créance”. (…) Ainsi le droit à l’union syndicale est une spécification dans le domaine du travail d’un droit général au rassemblement, qui a d’abord été énoncé pour la sphère politique. Il est donc un droit-liberté. En revanche, le droit au travail relève bien des droits-créance car il suppose l’affirmation par le corps politique d’un bien pour tous ses membres, à savoir le travail – au même titre que le droit à l’éducation gratuite. (…) La question du fondement des droits-créance se reporte alors sur les droits de l’homme. Il paraît évident qu’à partir du moment où l’on affirme l’égalité des hommes, les droits du citoyen doivent,dans cette perspective, garantir le maintien de cette égalité au sein de la communauté politique, sans quoi elle n’est rien d’autre qu’une expression creuse. (Le citoyen – Textes choisis et présentés par Marie Gaille, Flammarion, Corpus 1998, pp. 30-32.)
[3] GAGNON Jeanne, "L’émancipation et la longue marche vers l’égalité", Visions Voisins, vol. 9, no 1, 1 février 2002.


Publié dans la Revue Entr'Autres en janvier-mars 2008.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire